mercredi 10 avril 2019

Éloge de la fatigue

J'ai repris les études l'an dernier, en plus de mon travail à temps plein. Avant cela, j'ai eu à attendre une année au cours de laquelle j'ai lu toute la bibliographie que j'ai pu et pris des notes. C'est donc la troisième année où j'étudie le soir, les week-ends et les vacances, il m'en reste encore une et je sens que je commence à fatiguer, d'autant que le niveau d'exigence desdites études a logiquement augmenté d'une année sur l'autre.

Dante Gabriel Rossetti 
À part la fatigue croissante, avoir repris les études en plus de mon travail c'est comme jouer à Pokemon Go : c'est quelque chose qui laisse tout le monde perplexe et dubitatif, mais que je trouve plaisant, et pour lequel j'ai de très gros objectifs à atteindre, décomposés en une multitude de petites sous-parties pour en venir à bout.

Dans Pokemon Go, il me faut deux millions et demi de points pour passer au niveau 38, et chaque tâche (attraper un pokemon, en évoluer un au niveau supérieur, échanger un cadeau avec un ami, gagner un raid) ne fait gagner que quelques centaines, voire milliers de points. Mais à force de jouer tous les jours, on finit lentement par passer tous les niveaux. 

Pour les études, je dois étudier six matières avant les examens, mais avant de pouvoir les étudier je dois rédiger un dossier par matière, et pour cela il me faut échanger avec les enseignants (ou les harceler) afin d'obtenir un sujet, ce qui présuppose d'avoir réussi à me procurer leurs noms et leurs mails, et compris qui enseigne quoi, sachant qu'un prof enseigne souvent plusieurs matières mais que dans chaque matière il y a plusieurs enseignants... Une fois que j'ai réussi à avoir mes sujets de dossier et que j'ai travaillé à ces dossiers, j'étudier pour les examens. Ce qui ne fonctionne que si j'ai assez anticipé pour récupérer ces cours auprès d'étudiants présents à la formation, eux, avec qui j'ai réussi à entrer en contact au moyen d'expédients variés (dont certains dignes de Sherlock Holmes) et qui remplissent les deux conditions suivantes : assez charitables pour m'offrir leurs cours compte tenu de ma situation, et capables de prendre des notes de façon lisible et complète (ce n'est pas toujours le cas). 

Le tout, je le rappelle, en plus de mes quarante heures de travail salarié, et à chaque semestre. Au semestre suivant, tout est à recommencer : j'ai six nouvelles matières et l'enquête recommence.

Depuis le début de l'année, j'ai rassemblé la documentation, rédigé et rendu douze dossiers sur les thèmes suivants : l'art sud-africain, la Vénus de Milo, la ville d'Agen à travers les âges, les analyses polliniques dans l'Aude, les stèles aveyronnaises, la taille de la pierre au Paléolithique, les villas antiques du Piémont pyrénéen, le pastoralisme et la céramique sud-africains, les massues océaniennes, le flaminat en Gaule, l'Âge du Fer en Aquitaine, les mutations socio-économiques mésolithiques.

Je ne sais plus si je suis fatiguée mais contente, ou contente mais très fatiguée.

La chanson du jour : Django Django, Found you. Parce que le canon à deux voix au bout de 3 minutes est sublime et la pochette de l'album très drôle.

mardi 2 avril 2019

Un rêve

J'ai du mal à parler de moi alors voici un rêve. La nuit dernière j'ai rêvé que je me trouvais sur une colline arrondie au milieu d'un paysage de steppes, avec des plaques de neige. J'en ai gardé un souvenir si net que je me rappelais au réveil les couleurs du paysage (dans des teintes rosées et effacées) et de la forme d'une branche d'arbre à moitié immergée dans l'eau d'un lac en contrebas.

Dans mon rêve je savais que j'étais chez les Inuits mais au réveil je me suis rendue compte que le lieu ressemblait plutôt à certaines photos du Népal.
En tournant le dos au lac il y avait tout un paysage de cours d'eaux, de vallonnements et d'autres lacs qui se fondaient dans le lointain. En regardant à droite, deux blocs d'immeubles, l'un peint en vert pâle, l'autre en rose pastel, mais écaillés et sales. Je savais que c'étaient les lieux de vie des Inuits qui vivaient là (j'ai lu deux fois Nunavik des éditions Pow Pow et les conditions de vie actuelle des peuples du Grand Nord m'ont fait forte impression). Entre le paysage vallonné et les baraquements, il y avait un bâtiment gris avec une volée de marches et des inscriptions en langue inuite sur son fronton, et je savais que c'était une école.

(Extrait de "Nunavik" de Michel Hellman :
l'aéroport de Kuujjuak)

C'est un rêve qui parle de maternité parce que j'étais venue avec une petite fille inuite que j'avais adoptée, et je savais que son peuple voulait la récupérer. Je la cachais sous mon grand manteau rouge et comme j'étais grande et imposante je pensais qu'on ne la verrait pas. Je voulais en profiter pour rester encore un peu dans ce paysage beau et triste car j'attendais quelque chose, mais je ne savais pas quoi.
C'est un rêve qui parle de voir des horizons lointains, beaux ou non, mais lointains.

J'ai révisé ce rêve en le repassant dans ma tête, comme un film ou une leçon, dès mon réveil, car je sais que sinon il disparaît en fumée au bout d'un maigre quart d'heure. Je l'écris parce que la nuit suivante efface la plus grande partie des rêves précédents (les impressions, le ressenti, les sentiments).

(J'ai appris en le mettant en mots qu'on ne dit plus, d'après le gouvernement canadien, "un Inuk" et "des Inuit" mais que le genre et le nombre de ces mots ont été alignés sur les mots francophones classiques : un(e) Inuit(e), des Inuit(e)s. C'est bien triste mais la bonne élève en moi s'y est conformée.)

La chanson du jour : Engineers, "Forgiveness". Que rêver d'autre, souvent, qu'un oubli miséricordieux ?

mercredi 27 mars 2019

Never Ending Man

Un très beau film vu récemment : un documentaire d'une heure à peine, filmé au téléphone portable, un peu tremblé, et pourtant combien émouvant, sur Hayao Miyazaki.

Ce n'est pas un film sur le jeune mangaka passé à l'animation, ni sur le fringant artiste qui a lancé les studios Ghibli. C'est un film sur le Miyazaki d'aujourd'hui, celui qui a annoncé à plusieurs reprise depuis 2013 qu'il prenait sa retrait mais qui revient toujours, porté par un désir de création qui le dépasse, par son génie à l'état pur, par l'angoisse devant le temps qui file.
C'est un film qui fait réfléchir pendant des jours, des semaines après l'avoir vu.
L'exigence artistique extrême du Maître, y compris et surtout envers lui-même, est contrebalancée par son calme, sa bonté envers les enfants de son quartier qui viennent sonner à sa porte pour lui demander des bonbons.
On le voit toujours vêtu en tablier, comme un ouvrier : mais c'est un ouvrier au service de l'art, de l'art sous toutes ses formes. Aquarelle, encre, crayonné, animé, et même – c'est le point de départ du documentaire – animation en 3D avec ses essais collaboratifs pour Boro la petite chenille.
Hayao Miyazaki semble sorti de l'une de ses propres oeuvres : dans les grandes poches de son tablier, il y a des pinceaux et des cigarettes. Ses cheveux sont blancs comme la neige, ses gestes calmes et son corps alerte et souple (on le voit faire un peu de tai-chi).

Si tu en as encore la possibilité, lecteur (c'est-à-dire, j'imagine, s'il y a un cinéma d'art et d'essai pas très loin de chez toi), cours voir ce film dans lequel il y a tout. De la philosophie, de la poésie, mais surtout de la beauté et de la mélancolie.

La chanson du jour : Ramin Djawadi, "Heart-shaped box". Une émouvante cover version de Nirvana, presque de la musique classique, qui sublime l'univers de la très intelligente série Westworld.

mardi 19 mars 2019

Quelque chose de cassé

J'ai participé à la Photo de Truc© chez le Dr CaSo, dont le blog est drôlement plus chic que le mien. Le thème était : photographiez-moi un truc cassé.
J'ai acheté cette reproduction d'une stèle représentant Ramsès II enfant sur la boutique en ligne du Louvre. Les moulages sont toujours reproduits à la perfection, dans le moindre détail, cassures incluses bien sûr !
On reconnaît l'âge tendre de Ramsès à sa tresse rituelle, comme je l'ai appris dans ce très chouette bouquin d'Amandine Marshall, tiré de sa thèse en égyptologie, que je recommande à toutes et tous : Etre un enfant en Egypte ancienne.

La chanson du jour : Tame Impala, "Let it happen". Cheveux longs, lumière dorée, musique planante aux sonorités étouffées. Un moment magique.

vendredi 15 mars 2019

Genèse du blog

Pourquoi Miyax ? Parce que Julie des loups est mon premier coup de cœur littéraire. J'ai aimé passionnément, vers sept ans, l'ambiance de la nuit qui s'installe pour six mois, des plaques de lichen sur la banquise et des sternes arctiques qui indiquent le nord. L'héroïne est inuit, son nom natal est Miyax. Il y a un an ou deux, j'ai cherché à me procurer une édition originale du livre, s'il est permis d'utiliser cette expression pour une impression d'époque de la traduction française. La couverture est magnifique et le papier vieilli ajoute au charme :
"La taverne" parce que j'ai envie d'un lieu accueillant, tout virtuel qu'il soit, et d'un lieu où l'on cause, même si je risque d'écrire bien plus long que ne le seront les commentaires.
J'aime aussi ce mot, qui me fait penser à tous les mondes médiévaux fantastiques que j'ai pu fréquenter dans les livres (L'Assassin Royal) ou les jeux de société (Andor, Citadelles).
Et si vous avez envie de boire une bière bien fraîche dans ma taverne, c'est par ici ;)

La chanson du jour : Beau Dommage, "Chinatown". Un groupe formé l'année de parution de Julie des loups.

mardi 5 mars 2019

Polina

Depuis toujours, je lis énormément de bande dessinée, de romans graphiques, de mangas, de blogs dessinés et même de bédénovelas (Les Autres Gens, L’Été arte...)... Presque autant que de romans, ce qui chez moi n'est pas peu de chose. Il n'y a guère que les comics que je goûte peu, mais je pense que c'est par méconnaissance.
Bastien Vivès est un auteur contemporain qui fait régulièrement polémique. Je le confonds régulièrement avec Thomas Cadène pour l'innovation de son trait et la modernité des thèmes qu'il traite. J'ai bien aimé certaines de ses oeuvres (Le Chemisier), j'en ai trouvé d'autres navrantes (Elle(s)). Je viens de lire Polina et j'avais envie d'en parler ici.

Impossible de ne pas penser au film Black Swan lorsqu'on entame ce roman graphique. Sauf que la danseuse dépassée par l'ambition de sa mère, qui rencontre un pygmalion entre ogre et démon, a six ans et pas vingt au début de l'histoire. On en est d'autant plus fasciné·e, et mal à l'aise.
Bastien Vivès est malin : l'histoire débute comme Black Swan, mais prend un chemin parallèle. Au lieu de s'enfermer dans le cercle de son école de danse, l'héroïne pratique la fuite en avant : elle la quitte pour un théâtre contemporain, abandonne celui-ci pour une autre compagnie, puis intègre une troupe de théâtre à Berlin, et ainsi de suite... Elle laisse derrière elle des amis, des amours, les retrouve et les perd, tout comme cet ancien professeur qui lui faisait si peur à six ans mais lui propose plus tard d'incarner un spectacle en solo. Cette relation ambiguë est au cœur du livre.
Tout du long on se demande si Polina, qui brûle régulièrement ses vaisseaux, sacrifie son futur sur des coups de tête, ou au contraire marche vers un avenir triomphant. Cette question m'a tenue en haleine tout au long des deux cents pages.

J'ai trouvé l'intrigue beaucoup plus riche que Black Swan car la jeune fille grandit (on la suit sur de nombreuses années) et a davantage de libre arbitre que la Nina campée par Natalie Portman.
Ensuite, je ne peux que conseiller l'ouvrage pour le style graphique ébouriffant de Vivès. Tout est en noir et blanc, avec un peu de gris ; le trait est nerveux, épuré, mais restitue les mouvements avec une virtuosité que j'ai rarement vue : les gestes de danse bien sûr, mais aussi le balancement d'une queue-de-cheval sur l'épaule quand Polina se retourne vers Bojinski, son ancien maître. Les expressions aussi sont rendues avec une finesse que je n'avais jamais vue ailleurs, les visages aussi : en trois cases on a l'impression de connaître les personnages depuis toujours.

Je conseille donc ce roman graphique à qui aime la danse, l'art au sens graphique du terme, les relations troubles, les personnages féminins qui s'affranchissent des clichés, à qui a aimé Black Swan, ou ne l'a pas aimé. du tout...


La chanson du jour : Mina Tindle, "Pan". Un duo inoubliable avec un ancien des Innocents.

samedi 2 mars 2019

Le soir


« C’est le soir que j’en ai marre d’être moi-même. Je veux sortir, et je n’ai plus l’énergie pour sortir physiquement ; si c’était envisageable, d’ailleurs, j’aimerais sortir sans m’accompagner, en me laissant moi-même à la maison. »

Défaite des maîtres et possesseursVincent Message (vous pouvez cliquer : cet auteur a toutes les qualités, en plus de son talent et de son éthique il se paye le luxe d'être extrêmement beau garçon).

La chanson du jour : Pomplamoose, "Pumped Up Kicks" (Radiohead Mashup). Ma plus belle découverte de 2018.